Le 12 décembre 1995, plus de deux millions de personnes défilent dans toute la France. Six mois après l’élection de Jacques Chirac en tant que Président de la République et de la nomination d’Alain Juppé au poste de Premier ministre, le pays est paralysé !
Plus aucun train ni métro ne circule, la France est arrêtée !
Une colère “sociale” dans l’hexagone qui a pour cause la réforme de la sécurité sociale annoncée par le Premier ministre. Un vaste plan qui devrait selon lui mettre un terme au déficit chronique de la sécurité sociale.
Le Premier ministre annonce dans le détail, un allongement de la durée des cotisations des fonctionnaires de 37,5 à 40 ans, l’imposition des allocations familiales ainsi qu’une baisse du remboursement des frais d’hospitalisation et de certains médicaments.
Tous les observateurs, experts, médias font toujours référence à ces grèves de décembre 1995 pour analyser une mobilisation sociale d’importance. Peut-être que l’actuelle Première ministre, Elisabeth Borne redoute une même issue à son projet de réforme des retraites présenté le 10 janvier.
Ce plan prévoit notamment un report de l’âge légal à la retraite à 64 ans ainsi qu’un allongement de la durée de cotisations. Connaîtra-t-il le même sort que celui d’Alain Juppé en 1995 ? Est-il impossible de faire une réforme des retraites d’ampleur sans “gronde” sociale ?
PoliticAll, votre réseau social 100 % politique vous propose dans cet article de nous replonger tout d’abord dans 30 ans de réformes des retraites qui ont enflammé le débat public (I). Nous tenterons par la suite d’expliquer l’origine de cette grogne (II) avant de parler de la méthode à suivre pour le gouvernement pour mener à bien cette réforme des retraites (III).
Aucune réforme des retraites ne s’est faite sans remous ! Revenons sur 30 ans de réformes à l’origine de mobilisations sociales plus ou moins fortes dans le pays.
Au début des années 90, la France comme les autres pays européens depuis plusieurs décennies sont confrontés à un nouveau facteur : l’espérance de vie a augmenté et la balance actifs cotisants et retraités évolue.
Un livre blanc sur le sujet est même remis au Premier ministre socialiste, Michel Rocard en 1991. Rien ne sera pourtant fait avant 1993 et le retour de la Droite au pouvoir. Edouard Balladur est alors à Matignon !
1993 : Le Premier ministre, Edouard Balladur entreprend une réforme très importante des retraites qui comprend plusieurs mesures pour le régime général : le nombre d’années de cotisation passe de 37,5 à 40 ans ; on ne prend plus en compte les dix meilleures années de salaire mais les 25 meilleures. Les pensions sont désormais indexées sur l’inflation et non plus sur l’augmentation des salaires.
1995 : Nous l’avons vu en introduction, la réforme de décembre 1995 entraîne une vague importante de contestations dans tout le pays. La France est paralysée par des grèves massives. Le premier ministre de Jacques Chirac, Alain Juppé propose une réforme globale de la sécurité sociale dont la généralisation des mesures de la réforme Balladur de 1993 aux fonctionnaires et aux entreprises publiques. Face à la rue et bien que le Premier ministre entend rester “droit dans ses bottes”, ce dernier doit céder sur les régimes spéciaux de retraite qui garderont leurs spécificités mais la plus grande partie de sa réforme sur la sécurité sociale est menée à terme.
2003 : Avec la réforme Fillon du nom du ministre des Affaires sociales de l’époque, “tout le monde” que ce soit le public ou le privé devra cotiser 40 années pour prétendre toucher le taux complet de pension. La mobilisation est forte mais le gouvernement choisit de passer en force.
2007 - 2010 : Le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007 - 2012) voit deux réformes des retraites être menées. Une première concerne les régimes spécifiques des sociétés de service public (EDF, GDF, SNCF, RATP, Banque de France) ainsi que les professions à statut particulier (Clercs de notaire, élus et employés parlementaires) dont la durée de cotisation est alignée sur celui du régime général et passe à 40 ans.
La deuxième, la réforme Woerth en 2010 repousse l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans ainsi que l’âge de départ à taux plein qui est lui aussi reculé. Il devrait atteindre 67 ans en 2022. La contestation est alors forte dans la rue et dans l’opposition.
2014 : En 2012, la Gauche est de retour au pouvoir mais continue sur la même lancée en accélérant l’allongement de la durée de cotisation pour l’obtention d’une retraite à taux plein et l’inscrit dans le temps long. La durée de cotisation est relevée d’un trimestre tous les trois ans de 2020 à 2035 pour atteindre 172 trimestres (43 ans) pour les générations 1973 et suivantes. Un compte personnel de pénibilité est également instauré pour celles et ceux qui exercent des métiers difficiles. Ils bénéficient alors d’un départ anticipé. Si la réforme est décriée à Droite comme à Gauche, elle passe tout de même au Parlement !
Nous l’avons vu, chaque réforme des retraites depuis 30 ans a suscité des débats sinon des tensions que ce soit au Parlement au moment de son vote mais aussi dans la rue.
Une opposition quasi systématique à toutes réformes des retraites qui s’explique par la complexité du système et par la défense d’un métier, d’une corporation à son régime “spécial” de retraite.
Il existe en effet quatre blocs dans la Sécurité sociale :
Il existe actuellement 27 régimes spéciaux. Il en existe de différentes natures pour ces derniers : le régime de la fonction publique, le régime des entreprises et établissements publics ou encore des régimes structurés sur une base professionnelle (clercs et employés de notaires) ou d’une entreprise (Opéra de Paris, RATP, SNCF…).
Mais le système est en passe d’évoluer.
Le 1er décembre 2022, dans une interview au journal le Parisien, la Première ministre annonçait une extinction progressive. Avec la réforme voulue par le gouvernement, les nouveaux recrutés des régimes spéciaux seront affiliés au régime général d’assurance vieillesse comme tous les salariés du privé.
Avec la disparition progressive des spécificités des différents régimes, la voie d’un compromis acceptable paraît plus vraisemblable ! Mais une réforme des retraites est souvent perçue par les Françaises et les Français comme une certaine atteinte au célèbre “modèle social français”.
Pourquoi ces débats enflammés sur les retraites ?
Tout simplement, parce-que les Françaises et Français sont attachés à leur système des retraites. Il assure en effet à toutes et tous un droit à la retraite. Ainsi, chaque tentative consistant à le réformer est vue par les Français comme une certaine atteinte au “sacro-saint” modèle social français qui s’appuie notamment sur trois piliers : le droit à une retraite pour tous, la gratuité des soins et l’assurance chômage.
Ce modèle est issu des réformes de 1945 mises en place par le Général de Gaulle et le gouvernement issu du Conseil National de la Résistance (le CNR).
Mais ce modèle social français est mis à mal par la transformation de l’économie (numérisation de l’économie, destruction des emplois industriels) et par le vieillissement de la population.
Le constat semble clair et pourtant, les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas su trouver les mots et les arguments pour convaincre les Français du bien fondé de leurs réformes.
Il faut toutefois mettre en avant l’incohérence sinon le manque de transparence entre les discours des candidats à la présidentielle et les mesures prises par les Présidents une fois aux affaires.
Ainsi Jacques Chirac a été élu en 1995 sur le thème de la “fracture sociale” qui consistait en une réduction des inégalités, ainsi son programme ne parlait en aucune manière d’une réforme des retraites.
Son Premier ministre, Alain Juppé, entend résorber le déficit du pays et se lance alors dans une réforme de la sécurité sociale. “Le plan Juppé” suscite un tollé !
Ce fut la même chose avec le retour de la gauche au pouvoir en 2012. François Hollande a été élu sur un retour de la retraite à 60 ans et sur la prise en compte de la “pénibilité professionnelle”.
Le contenu de la réforme Touraine ne faisait en aucune manière partie du programme du candidat socialiste et pourtant elle est votée durant le quinquennat de François Hollande (2012 - 2017).
Emmanuel Macron a quant à lui été plus transparent. Il ne s’est pas avancé masqué sur le sujet et a mené sa dernière campagne présidentielle de 2022 en insistant sur la nécessité de voter un report de l’âge légal à la retraite à 64 ou 65 ans.
Le plus difficile s’annonce pour l’exécutif, trouver les mots qui apaisent et avec eux de solides arguments pour éviter que la contagion sociale ne prenne dans tout le pays !
Le gouvernement Borne a choisi d’appuyer sa réforme sur les conclusions du dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR). Créé en 2000, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) a pour mission principale d’analyser et de suivre les perspectives à moyen et long terme du système de retraite français.
Ce “COR” a selon l’analyse du gouvernement Borne insisté sur l’importance d’une réforme en mettant en avant un déficit à craindre pour le système des retraites.
Clairement pour le gouvernement, le financement des retraites n’est plus à l’équilibre, le déficit va se creuser, une réforme s’impose alors !
Un discours de “bon sens” qui pourrait convaincre, seul bémol les syndicats et avec eux la Gauche dans son ensemble n’ont pas la même interprétation des conclusions de ce rapport et dénoncent “une dramatisation du déficit”.
Selon le COR, le système de retraite devrait enregistrer un excédent en 2022, dans la continuité de l’année 2021 (+ 900 millions d’euros). Mais pour les années suivantes, les projections du COR font état d’un léger déficit du système de retraite.
Une querelle d’interprétations qui oblige le gouvernement a trouvé des arguments solides pour tenter de justifier sa réforme.
Le ministre délégué aux comptes publics, Gabriel Attal a ainsi affirmé : « c’est la réforme ou la faillite ! ». Le gouvernement met ainsi en avant la question des finances pour justifier sa réforme tout en dévoilant des mesures de justice sociale.
Une argumentation et des mesures de justice sociale qui ne parviennent pas pour l’heure à convaincre puisque les syndicats ont répété leur opposition “très ferme” au projet du gouvernement et ont appelé à une journée de mobilisation dès le 19 janvier.
En décembre 1995, le Premier ministre Alain Juppé se félicitait de rester “droit dans ses bottes” face à la gronde sociale. Ces propos n’ont en aucune manière calmer “la rue” au contraire !
Le climat social et les mouvements de grève de décembre 1995 ne se sont arrêtés que lorsque le Premier ministre a cédé !
30 ans de réformes des retraites montrent qu’elles aboutissent le plus souvent à un “embrasement social”.
Comment peut-on expliquer cette “passion française” de lutte contre toutes réformes des retraites ?
Tout simplement parce-que les Français sont attachés à ce système qui fait partie intégrante du modèle social français.
Toucher aux retraites c’est pour beaucoup porter atteinte au “sacro-saint” modèle !
Alors comment le gouvernement peut-il ainsi éviter ce qui paraît inéluctable pour sa réforme de 2023 ?
D’abord en disant la vérité et faire preuve de transparence sur l’état du système de retraites et de sa situation dans le futur.
Le gouvernement devra également mettre en avant les contreparties aux efforts demandés.
Enfin pour finir, il devra faire preuve de pédagogie, d’explications, disposer de solides arguments pour convaincre et persuader les plus hésitants et les réfractaires à toute réforme.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le gouvernement peut-il éviter l’embrasement social avec sa réforme des retraites ?