L’origine controversée de la Vème République
“Je vous ai compris !”, la formule est célèbre.
Elle est celle du général de Gaulle, le 4 juin 1958 à Alger, durant son discours depuis le balcon du gouvernement général devant une foule de 100 à 300 000 personnes. Ce discours marque le retour du général de Gaulle au pouvoir !
À la suite du mouvement du 13 mai 1958 à Alger, le président du Conseil (le Premier ministre de l'époque), Pierre Pflimlin, présente sa démission au président de la République, René Coty.
Ce dernier, face aux refus des politiques proposés pour remplacer Pierre Pflimlin, se tourne "vers le plus illustre des Français" pour former un nouveau gouvernement. De Gaulle impose ses conditions, Coty les accepte.
Le général de Gaulle est investi le 1er juin par la Chambre des députés. Il devient le dernier président du Conseil de la IVème République.
La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 lui donne le pouvoir de rédiger une nouvelle constitution. Cela récompense les gaullistes qui ont su manœuvrer en coulisses pour permettre un retour du général.
Ainsi, ce retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, qui a abouti à la naissance de la Vème République, est-il un retour démocratique, légal ou s'agit-il d'un "coup de force" ? La Vème République est-elle née d'un coup d'État militaire ?
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Nous verrons que c'est bien parce que la IVème République a été incapable de résoudre la situation en Algérie (I), que le "coup de force" des gaullistes a été rendu possible pour assurer le retour au pouvoir de leur chef, le général de Gaulle (II).
Une IVème République incapable de solutionner la situation en Algérie
Après avoir conduit à l'autonomie puis à l'indépendance de la Tunisie et du Maroc (en 1956), c'est le déclenchement de la guerre d'Algérie en 1954 qui entraîne la chute définitive du régime.
En 1956, le centre-gauche (socialistes, radicaux...) remporte les élections en promettant de faire la paix. Devenu chef du gouvernement, le socialiste Guy Mollet se fait voter "des pouvoirs spéciaux" pour résoudre la crise algérienne.
Il obtient même les votes des communistes. En contradiction avec son discours de campagne hostile à la guerre, Guy Mollet se sert de ses pouvoirs spéciaux pour poursuivre et amplifier la guerre.
Durant ce qu'on appellera par la suite "la journée des tomates" du 6 février 1956, il se fait bousculer par les colons français à Alger, partisans de "l'Algérie française" et opposés à toute négociation de paix avec le FLN (Front de libération nationale) algérien. Face à cette pression, Guy Mollet cède et accepte une intensification du conflit.
Le 15 avril 1958, le gouvernement du radical Félix Gaillard tombe. La IVème République connaît une nouvelle crise ministérielle. Il faut attendre près d'un mois pour constituer un nouveau gouvernement. C'est Pierre Pflimlin, favorable à l'ouverture de négociations avec le FLN (Front de libération nationale) et donc désavoué par l'armée, qui est investi.
Opposés à toute négociation, les partisans de l'Algérie française organisent une manifestation qui tourne à l'émeute le 13 mai à Alger. Ils se révoltent et s'emparent du gouvernement général avec la complicité des parachutistes.
Le "coup de force" des Gaullistes pour assurer le retour au pouvoir du général de Gaulle
Devenus maîtres d'Alger, les putschistes constituent un comité de salut public. Ils veulent un pouvoir politique fort capable de les soutenir dans la "guerre" contre les indépendantistes algériens.
Ils placent à la tête du comité de salut public le général Massu, proche du général de Gaulle ! Ce comité se compose d'officiers hauts gradés attachés à l'Algérie française, de colons, de gaullistes et de militants d'extrême droite.
Les putschistes affirment ne reconnaître que l'autorité du général Salan, chef des armées en Algérie, et appellent dès le 14 mai au retour au pouvoir du général de Gaulle. Pour eux, seul ce dernier dispose de la légitimité suffisante pour faire face à la situation.
Le 15 mai, le général Salan prononce un discours à la foule qu'il conclut par "Vive la France, vive l'Algérie française, vive le général de Gaulle". Le même jour, De Gaulle se déclare prêt à "assumer les pouvoirs de la République".
Le 19 mai, De Gaulle, dans une conférence de presse, rassure sur ses intentions : "Croit-on qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ?" Tout en maintenant la république souveraine et les lois fondamentales qui vont avec, le général refuse officiellement de désavouer le putsch d'Alger.
Le 24 mai, le coup de force se poursuit !
Les putschistes lancent une opération aéroportée en Corse et, profitant de la complicité du pouvoir en place sur l'île, s'en emparent. C'est l'opération "Résurrection".
Ils fixent alors un ultimatum à Paris, qui expirera le 29 mai, et préparent une opération militaire pour prendre possession de la capitale. De son côté, De Gaulle annonce avoir "entamé le processus régulier nécessaire à l'établissement d'un gouvernement républicain capable d'assurer l'unité et l'indépendance du pays".
Si la résistance politique s'organise à Paris en votant, par exemple, la confiance au gouvernement Pflimlin avec pour charge de restaurer l'ordre républicain, les députés, y compris de l'opposition, dans ce parfum de risque de "guerre civile", cèdent au diktat : "De Gaulle ou la guerre civile".
La droite non gaulliste, les socialistes discutent avec De Gaulle.
Tout au long de ces événements du mois de mai 1958, les représentants du général à Alger, Jacques Soustelle et Léon Delbecque, assurent le lien entre De Gaulle et les putschistes. Delbecque ira même jusqu'à souffler "Vive De Gaulle" au général Salan, le 15 mai.
Le président du Conseil, Pierre Pflimlin, s'avoue vaincu et annonce le 28 mai qu'il démissionne.
Le 29 mai, René Coty fait appel à De Gaulle, qu'il qualifie de "plus illustre des Français", pour constituer ce qui sera le dernier gouvernement de la IVe République. Guy Mollet et les socialistes se rallient à De Gaulle.
Il est investi le 1er juin par l'Assemblée nationale et fait voter le principe d'une révision de la Constitution. Celle-ci est conforme à son discours de Bayeux, avec une réduction du poids du Parlement et un renforcement considérable de l'exécutif.
La plupart des partis politiques se rallient à De Gaulle. Les communistes sont isolés, ainsi que quelques personnalités de gauche refusant de suivre la ligne de Guy Mollet, comme Pierre Mendès-France et François Mitterrand.
Le 28 septembre 1958, les Français approuvent, à une très large majorité (82,60 % des suffrages exprimés), cette nouvelle Constitution. C'est la fin de la IVe République, remplacée par une Ve République conçue sur mesure pour De Gaulle.
Conclusion : La 5ème République est-elle née d'un coup d'Etat ?
Jouant à fond la carte du risque de "guerre civile", les réseaux gaullistes ont exercé une pression sur le pouvoir en place afin que le président de la République, René Coty, n'ait d'autre choix que de faire appel au général de Gaulle.
C'est bien cet appel à De Gaulle par René Coty et son investiture avec une importante majorité (329 voix pour, 224 voix contre) à l'Assemblée nationale qui permet de couvrir d'une légalité apparente ce "coup de force" politique des gaullistes.
Même si beaucoup reconnaissent que la Ve République a doté la France de solides institutions, cet habillage démocratique et ces conditions de naissance, du moins controversées, nourrissent encore aujourd'hui un certain sentiment de rejet de la Ve République, notamment à gauche. Un camp qui appelle à l'instauration de la VIe République.