Il y a 30 ans, la mort tragique de l’ancien ouvrier devenu Premier ministre

Un mois plus tôt, Pierre Bérégovoy était encore le Premier ministre et le troisième personnage de l'État. Le 1er mai 1993, à 18 h 10, son corps a été retrouvé gisant le long d'un canal près de Nevers, ville dont il était le maire depuis 10 ans. Il aurait subtilisé l'arme de son garde du corps, un 357 magnum, et se serait tiré une balle. La France est sous le choc ! L'annonce officielle du décès de l'ancien Premier ministre, âgé de 67 ans, a finalement été faite vers 19 h 30 alors qu'il était transporté à l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris.

Selon la version officielle, Pierre Bérégovoy était déprimé et dépressif. Il aurait été affecté par la déroute socialiste aux élections législatives de mars 1993 et par la révélation du "Prêt Pelat" par le Canard enchaîné en février 1993.

Depuis son arrivée à Matignon en avril 1992, Pierre Bérégovoy, pourfendeur de la corruption, aurait reçu en 1986 un million de francs sans intérêt de la part d'un homme d'affaires, un proche de François Mitterrand, Roger-Patrice Pelat, pour lui permettre d'acheter un appartement dans le XVIème arrondissement de Paris.

Depuis la révélation du Canard enchaîné, le Premier ministre n'a eu de cesse de vouloir défendre son honneur et son intégrité, mais n'a pas pu empêcher l'échec du Parti socialiste aux législatives de 1993.

Quel a donc été l'itinéraire de cet autodidacte d'exception, devenu Premier ministre, jusqu'à ce tragique 1er mai 1993 ? PoliticAll, votre réseau social 100 % politique, vous propose de revenir sur son ascension (I), jusqu'à Matignon (II), où, ambitieux, il avait même envisagé de succéder à François Mitterrand à l'Élysée (III).

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L'ascension d'un autodidacte d'exception

 

Pierre Bérégovoy a consacré près de 50 ans de sa vie au militantisme, au syndicalisme et à la politique. Avec pour seule formation initiale un CAP d'ajusteur fraiseur, il a suivi des cours du soir et est devenu un autodidacte exceptionnel pour gravir les échelons du pouvoir politique : secrétaire général de l'Élysée, poste jusqu'alors réservé aux énarques, ministre des affaires sociales, ministre de l'économie et des finances, puis Premier ministre.

Fils d'un immigrant ukrainien, Pierre Bérégovoy avait seulement 14 ans lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté. Pendant le conflit, il a travaillé comme ouvrier pour subvenir aux besoins de sa famille et, en homme de conviction, il a pris les armes pour entrer dans la résistance.

Sur le plan professionnel, il a fait carrière dans le service public en devenant d'abord cheminot, puis cadre chez Gaz de France (GDF). À partir de 1946, il a rejoint la SFIO (Section française de l'internationale ouvrière), où il a commencé à gravir les échelons de la hiérarchie. Il a ensuite rejoint Pierre Mendès-France en 1959 au Parti socialiste unifié (PSU). C'est auprès de l'ancien président du Conseil, en tant que conseiller social, que Pierre Bérégovoy a appris la rigueur intellectuelle qui a marqué toutes ses années d'engagement politique.

Il a adhéré au Parti socialiste (PS) en 1969. En 1971, au congrès d'Épinay, de nouvelles forces politiques socialistes ont intégré le PS et François Mitterrand est devenu premier secrétaire du parti. Bérégovoy s'est rapproché de Mitterrand jusqu'à devenir l'un de ses principaux conseillers durant la présidentielle de 1974, où Mitterrand a échoué de peu face à Valéry Giscard d'Estaing.

En 1981, après 23 ans d'opposition depuis 1958, la gauche a remporté les élections présidentielles. Mitterrand a pris sa revanche de 1974 face à Giscard et a remporté l'élection avec 51,7% des voix. Comme en 1974, Pierre Bérégovoy a été l'un des proches conseillers de François Mitterrand durant cette campagne victorieuse de 1981 et était au plus près de lui lors de son investiture, notamment lors de la cérémonie au Panthéon. Mitterrand l'a récompensé en le nommant secrétaire général de l'Élysée, un poste jusqu'alors réservé aux énarques.

Bérégovoy est ensuite devenu ministre des affaires sociales en 1982, avec pour mission de rétablir les comptes de la sécurité sociale. C'est à ce moment-là que son ambition politique a commencé à grandir. Le président lui a assuré un fief électoral en le parachutant à Nevers, où il est devenu maire en 1983. Toutefois, il s'est impatienté et a commencé à rêver de devenir Premier ministre.

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Un homme d'honneur à Matignon

Depuis 1984, Pierre Bérégovoy nourrit l'ambition de devenir Premier ministre. Malgré cela, François Mitterrand préfère tour à tour Laurent Fabius, Michel Rocard et Édith Cresson pour occuper ce poste prestigieux.

Ce n'est que suite à la défaite de la gauche aux élections régionales en avril 1992, qu'il parvient enfin à réaliser son rêve. Édith Cresson est écartée et Pierre Bérégovoy dispose alors de seulement 11 mois avant les élections législatives de mars 1993 pour éviter une débâcle électorale pour le Parti socialiste (PS). Sa mission est double : réduire le chômage et assainir les finances publiques.

 

Dans son discours de politique générale du 8 avril 1992, Pierre Bérégovoy adopte une position ferme contre la corruption, qui a entaché les années 80 et le début des années 90 de nombreuses affaires politico-financières. "Je souhaite éradiquer la corruption. J'ai demandé au garde des sceaux d'intensifier les poursuites judiciaires et de punir les coupables. Je veux que cette purification soit menée par la justice de manière rapide et sévère", déclare-t-il devant l'Assemblée nationale.

Bien que cette prise de position lui vaille les critiques des élus de droite, Pierre Bérégovoy bénéficie d'un accueil favorable de la part de la population française.

Cependant, après la période de grâce, le climat social se tend. Pierre Bérégovoy doit faire face aux manifestations des agriculteurs contre la nouvelle politique agricole commune (PAC), aux protestations des chauffeurs routiers contre l'introduction du permis à points, ainsi qu'au blocage des ports par les dockers. Le gouvernement subit une forte baisse de popularité dans les sondages.

Les élections législatives de mars 1993 approchent, et la situation devient de plus en plus difficile pour Pierre Bérégovoy.

En février 1993, le Canard enchaîné révèle l'affaire Roger Patrice-Pelat. Le journal explique comment le Premier ministre a obtenu un prêt sans intérêt d'un million de francs de la part d'un proche du président Mitterrand surnommé "le vice-président". Bien que cette opération ne soit pas illégale et que Bérégovoy l'ait déclarée chez son notaire, elle est suspecte aux yeux de l'opinion publique. L'image de "l'homme du peuple simple et intègre" que Bérégovoy avait construite au fil des ans est alors détruite.

Au cours des 22 000 kilomètres qu'il parcourt pour faire campagne lors des élections législatives de 1993, le Premier ministre doit sans cesse se défendre et se justifier. Mais lors de nombreux déplacements, Pierre Bérégovoy doit faire face à des manifestants qui lui lancent des insultes. Le désastre annoncé aux élections législatives pour le Parti socialiste devient réalité. Le Parti socialiste ne sauve que 57 sièges, dont celui du Premier ministre, contre 275 cinq ans plus tôt. La droite l'emporte et c'est alors la seconde cohabitation pour François Mitterrand (1993-1995). Edouard Balladur devient Premier ministre.

Pierre Bérégovoy vit très mal cette défaite. Selon ses amis politiques les plus proches, il tombe peu à peu dans un état dépressif. Ses amis politiques du Parti socialiste l'abandonnent et François Mitterrand ne l'appelle pas. La droite désormais au pouvoir critique son bilan. Lui, l'homme du franc fort et de la rigueur budgétaire, ne le supporte pas. Bien qu'il soit député et encore maire de Nevers, il se sent de plus en plus isolé, surtout qu'il doit faire face aux pressions d'hommes d'affaires proches du premier cercle mitterrandien impliqués dans des scandales politico-financiers.

 

Le 1er mai 1993, l'ancien Premier ministre et député-maire de Nevers rencontre, comme il le fait chaque année, les syndicalistes le matin avant de remettre des coupes et autres récompenses lors des courses cyclistes et de canoë. Personne ne remarque chez Pierre Bérégovoy les signes d'un homme dépressif susceptible de se suicider. Pourtant, vers 18 h 15, son garde du corps trouve son corps gisant le long d'un canal. Il se serait tiré une balle dans la tête avec l'arme de son garde du corps.

L'Elysée, l'ambition de trop

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Ancien ajusteur et ouvrier, Pierre Bérégovoy nourrissait l'ambition de se présenter aux élections présidentielles anticipées et de succéder à François Mitterrand. 

En septembre 1992, lorsque la France entière apprend la maladie du président de la République, beaucoup pensent que son septennat sera écourté. Bérégovoy se prépare donc pour cette éventualité. Avec Jacques Pilhan, le conseiller chargé du marketing de Mitterrand, il répète son discours de candidature deux à trois fois par semaine.

Pour préparer sa campagne présidentielle, il fonde l'Alliance des Français pour le progrès. Ce mouvement avait pour but de dépasser le seul parti socialiste en rassemblant des Français de tous horizons soucieux de construire un programme commun reposant sur le progrès et la justice sociale. 

Bien que cette alliance soit associée au Parti socialiste lors des élections législatives de mars 1993, elle est morte avec Bérégovoy. Les élections législatives de 1993 ont été une déroute pour le PS, mettant fin à toutes les ambitions présidentielles de Bérégovoy. Les mots « Alliance des Français pour le progrès » n'apparaîtront plus sur aucune affiche électorale.

Conclusion : Qui a tué Pierre Bérégovoy ? 

Lors des obsèques de Pierre Bérégovoy à Nevers le 4 mai, le président de la République, François Mitterrand rend hommage à celui qui l’aura tant servi. 

 

Il fustige alors “ceux qui ont livré aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre république, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous.” 

Ainsi à la question “qui a tué Pierre Bérégovoy ?”, François Mitterrand semble pointer du doigt les journalistes d’investigation, mais également l’opposition. 

30 ans sont passés, les thèses fantaisistes et les zones d’ombres autour de la mort de Pierre Bérégovoy ont fait oublier à toutes et tous le destin exceptionnel d’un ouvrier autodidacte devenu premier ministre.

Débat : Qui a tué Pierre Bérégovoy ? Les juges, les journalistes ? Serait-il possible selon vous de voir de nouveau un ancien ouvrier devenir Premier ministre ? 

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