L’intelligence artificielle (IA) représente-t-elle un risque pour la politique ?

En novembre 2022, le grand public a pu découvrir ChatGPT. Développé par l’entreprise américaine OpenAI, ce chatbot est bien plus qu’un agent conversationnel. Il s’agit d’une IA générative capable de générer des textes et de développer des lignes de code, et bien plus encore ! 

Depuis son lancement, le site qui donne accès à ChatGPT a reçu environ 4 milliards de visites, faisant de lui l'outil à la croissance la plus rapide de tous les temps ! Chacun a pu prendre conscience de l’avancée colossale de l’intelligence artificielle, de ses promesses, mais aussi de ses menaces.

Désormais, l’IA est utilisée en politique, et ce sont les États-Unis qui montrent la voie. Le pays dispose en effet des technologies les plus avancées en matière d’intelligence artificielle, ainsi que d'une législation plus permissive sur l’utilisation des données personnelles et de la publicité politique. 

En avril 2023, le président des États-Unis, Joe Biden, a annoncé qu'il se représenterait aux élections présidentielles de 2024. En réponse, le parti républicain a utilisé une vidéo générée par l’intelligence artificielle. 

Pendant 33 secondes, l'IA décrit un scénario catastrophe, débutant par des images de réélection fausses du président démocrate, suivi des conséquences de sa réélection : crise financière, invasion de Taïwan par la Chine, etc. Les républicains imaginent ainsi leur version du futur et les conséquences d'une réélection de Joe Biden.

Un autre membre du parti républicain et ancien président des États-Unis, Donald Trump, n'hésite pas non plus à recourir à l'intelligence artificielle. Une photo sur Twitter a été publiée, montrant Donald Trump défilant dans les rues de New York soutenu par une foule immense le jour même de son inculpation.

Bien que sachant que cette photo était fausse, son propre fils, Eric Trump, n'a pas hésité à la reprendre. Résultat : le cliché a été vu près de 10 millions de fois, certains internautes le partageant comme s'il était réel.

Intelligence artificielle (IA), générateur d’images, robots conversationnels: tous ces outils seront au cœur de la future campagne présidentielle aux États-Unis en 2024 et forcément de la campagne présidentielle française en 2027. Ainsi, le recours à l'intelligence artificielle doit-il être considéré comme une menace pour la politique et donc, au final, pour nos démocraties? Votre réseau social 100 % politique, PoliticAll, vous propose de vous intéresser aux conséquences de l’utilisation de l’intelligence artificielle en politique. 

Entre manipulation (I) et bouleversement des métiers de la politique et des campagnes électorales (II), nous verrons que l'intelligence artificielle peut également être utilisée pour une meilleure efficacité dans l'exercice du pouvoir (III).

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L'IA au service de la manipulation politique

Début mai, Geoffroy Hinton, lauréat du prix Turing en 2019 et l'un des pères fondateurs de l'intelligence artificielle (IA), en vient à regretter son invention et juge nos perspectives d'avenir sous IA "effrayantes".

Son œuvre peut en effet être transformée en outil de désinformation. L'IA facilite la génération automatisée de contenus falsifiés de plus en plus sophistiqués. Nous l'avons vu aux États-Unis précédemment, mais il en est de même en France.

Fin mars, une image créée avec l'outil MidJouney a connu une diffusion virale. Il s'agissait d'un vieillard au visage ensanglanté, brutalement saisi par plusieurs policiers supposément au cours d'une manifestation contre la réforme des retraites.

Il y a également eu la fausse vidéo d'Emmanuel Macron décrétant la loi martiale, la fausse photographie toujours d'un Emmanuel Macron devant des poubelles en feu pendant les dernières manifestations contre la réforme des retraites, la fausse image d'un ministre agressant un passant…

Les faussaires, les propagandistes peuvent ainsi laisser libre cours à leur imagination avec l'IA. Et tous les moyens techniques sont possibles, tels que les vidéos, les images, mais aussi les textes.

En effet, à partir de mots-clés donnés, l'IA peut désormais créer en quelques secondes des posts massifs, des articles, des commentaires ou des tweets dans la langue de son choix avec un ton "positif", "négatif" ou "neutre".

Les politiques de tous bords se montrent profondément inquiets du retard de la France face au développement de ce genre d'outils capables d'inonder les réseaux sociaux de fausses informations et de polémiques complètement inventées et artificielles.

Une chose est sûre, la désinformation en ligne n'est pas un phénomène récent. Ainsi, dès 2018, une loi contre la manipulation de l'information a été votée. Un service de l'État a même été créé en 2021 : Viginum.

Sa mission consiste à identifier et faire échec aux tentatives d'ingérences étrangères dans les élections.

Viginum a été particulièrement actif au moment de la présidentielle et des législatives de 2022 en identifiant 60 alertes, dont 5 ont été qualifiées comme des tentatives d'ingérence étrangère.

Ce genre d'agence, de service pourra-t-il encore protéger l'hexagone face aux différentes réalisations d'outils capables de générer des contenus de plus en plus sophistiqués ?

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L'IA va bouleverser les métiers de la politique et les campagnes électorales 

Les métiers de la politique et les campagnes électorales vont être impactés par le recours à l’intelligence artificielle. Le poste d’assistant parlementaire va complètement changer. L’IA pourra prédire les chances qu’un amendement soit adopté, répondre au courrier, préparer une note sur un sujet précis…

Et même pour certains observateurs, l’analyse de l’opinion en temps réel pourrait demain devenir réalité, dès lors que les outils d’intelligence artificielle pourront se brancher en temps réel sur les flux d’information.

De plus, un outil comme ChatGPT est en mesure de générer des discours et des programmes extrêmement proches de ceux que portent effectivement les personnalités politiques. Elles vont ainsi devoir réinventer l’écriture de leurs discours.

En raccourcissant le temps pour produire les contenus et en ciblant plus finement, c’est tout le monde de la communication et du marketing politique qui va être bousculé.

Si l’IA est capable de produire des discours et un programme, peut-elle également mener campagne ?

Au Danemark, un parti dirigé par une intelligence artificielle ayant pour nom “parti synthétique” est né en mai 2022. À sa tête, Leader Lars.

Il ne s’agit pas d’un humain mais d’un chatbot avec lequel les internautes peuvent discuter sur Discord. Pour créer son programme, cette IA s’est inspirée de tous ceux des partis marginaux danois depuis 1970.

Le programme du parti synthétique est censé représenter les valeurs des 20 % des Danois qui n’ont pas voté durant les dernières élections.

Cela n’est pas la première fois qu’une intelligence artificielle s’invite dans le débat politique. Les habitants de la ville de Tama au Japon en ont fait l’expérience durant les élections municipales de 2018.

Le candidat, Michihito Matsuda a fait le choix d’orienter toute sa campagne autour de l’IA. Si ce projet n’a pas emporté l’adhésion de la majorité de la population, il a toutefois recueilli 9,31 % des suffrages exprimés.

Ce même candidat avait décidé qu'en cas de victoire, l'intelligence artificielle serait au centre de toutes les décisions politiques de la municipalité.

En effet, l’intelligence artificielle ne peut-elle pas aider le politique dans sa prise de décision ?

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Se servir de l'IA pour une meilleure efficacité dans l'exercice du pouvoir

Les nombreux algorithmes qui constituent l’intelligence artificielle pourraient constituer une aide à la décision politique en simplifiant le traitement des données et des informations.

L’IA permet ou pourrait permettre de raccourcir le temps de prise de décision pour plus d’efficacité en matière de politiques publiques.

Dire que l’IA a la capacité d’être plus efficace ou, du moins, d’aider le politique dans sa prise de décision revient à lui reconnaître une certaine neutralité dans le traitement des données et des informations. Or, il n’en est rien.

En effet, la chercheuse australienne Kate Crawford, fondatrice du AI Institute et auteure d’un Contre-Atlas de l’IA (Zulma, 2022), démontre dans son livre que l’IA n’est plus une technologie neutre, puisqu’elle est façonnée par des données exploitées par des humains.

Cela pose ainsi la question des biais algorithmiques.

Ces derniers apparaissent lorsque les données utilisées pour entraîner l’IA reflètent les valeurs implicites des humains qui les collectent, les sélectionnent et les utilisent.

Ainsi, les algorithmes et l’intelligence artificielle ne nous libéreraient pas des partis pris idéologiques et des inégalités. Au contraire, ils nous y enfermeraient.

Cela aboutirait alors à des décisions politiques toujours plus injustes et à une perte totale de confiance de la part de la population.

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Conclusion : Des menaces, des risques oui mais l'IA ne peut-elle pas être une opportunité également pour la politique ? 

Grâce à l’Intelligence artificielle et à la réduction du temps de travail que cette dernière rend possible, ne rendrait-elle pas également possible l’instauration d’une véritable démocratie directe renouvelée et numérique dans laquelle les citoyens exerceraient eux-mêmes le pouvoir, sans l’intermédiaire des élus ?

Surtout, le fait de brancher un tel outil sur nos textes législatifs et les travaux parlementaires permettrait à toutes et à tous de se tenir informés en temps réel de leur avancée.

Ainsi, l’IA pourrait simplifier les rapports entre l’État et les citoyens. Imaginons un chatbot qui passerait en revue tous les articles de nos codes pour en extraire la réponse la plus adaptée.

Parallèlement à cela, il paraît de plus en plus indispensable de réglementer et de mettre en place une utilisation “éthique” et “responsable” de l’IA en politique.

Débat : L'IA est-elle selon vous dangereuse pour la politique et en fin de compte pour la démocratie ? Peut-on être inquiet pour la campagne présidentielle en France en 2027 ? 

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