Le recours au 49.3 est-il une atteinte à notre démocratie ?

Suite à l'annonce du recours au 49.3 par la Première ministre Élisabeth Borne, des mouvements de protestation ont émergé dans tout l’Hexagone.

Pour beaucoup de Français, le recours au 49.3 de notre Constitution montre la volonté du gouvernement d'éviter les débats parlementaires et de refuser de se soumettre au vote de la représentation nationale : l'Assemblée nationale.

Depuis 1958, l'article 49.3 a été utilisé 100 fois. L'idée des pères fondateurs de notre Constitution en créant cet article était d'éviter les crises ministérielles incessantes qui avaient paralysé la IVème République.

En activant l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, la Première ministre Élisabeth Borne a engagé la responsabilité du gouvernement pour faire passer sans vote des députés le projet de loi du gouvernement sur la réforme des retraites.

L'article 49 alinéa 3 de la Constitution est une « arme constitutionnelle » dont dispose le gouvernement face au Parlement, bien que ce dernier puisse répliquer avec une motion de censure.

Si la motion de censure obtient une majorité, le gouvernement tombe ! Si le recours au 49.3 par l'exécutif engendre un « bras de fer » avec le Parlement, celui-ci peut en effet renverser le gouvernement.

Le recours au 49.3 est-il une atteinte à notre démocratie en mettant fin aux débats parlementaires et en refusant le vote des députés ? Le 49.3 est-il un article constitutionnel toujours adapté à notre temps ? Ne peut-on pas envisager sa suppression à l'avenir ?

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L'article 49.3 de la Constitution sert à engager la responsabilité du gouvernement

L'article 49 alinéa 3 de notre Constitution dispose que "Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.

Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté sauf si une motion de censure déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut en outre recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session."

Le recours au 49.3 est initié par le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres. Une fois actionné, l'examen d'un texte à l'Assemblée nationale est immédiatement suspendu, le gouvernement engageant ainsi sa responsabilité sur le projet de loi en question qui est adopté sans vote.

Historiquement, les gouvernements ont utilisé l'article 49.3 pour :

  • Gouverner malgré une majorité fragile à l'Assemblée nationale, comme c'est le cas actuellement avec Elisabeth Borne et sa majorité relative ;
  • Accélérer l'examen d'un texte qui s'enlise et montrer une obstruction de l'opposition ;
  • Éviter une fronde interne en mettant les récalcitrants au pied du mur, comme ce fut le cas de Manuel Valls (2014-2016) avec les "frondeurs" socialistes à l'Assemblée nationale lors de l'examen des lois "Macron" et "Travail".

 

Au total, 16 Premiers ministres ont eu recours à l'article 49.3 depuis 1958. Le champion en la matière est Michel Rocard, Premier ministre de François Mitterrand de 1988 à 1991, qui a utilisé l'article 28 fois en trois ans à Matignon.

 

Comme c'était le cas pour le gouvernement Borne, Michel Rocard ne disposait que d'une majorité relative à l'Assemblée nationale.

Plusieurs textes majeurs ont toutefois été adoptés grâce à l'article 49.3, comme la loi créant le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la réforme du statut de la régie Renault et la loi de programmation militaire (1990-1993).

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Depuis son arrivée à Matignon, Elisabeth Borne se classe deuxième avec onze utilisations de l'article 49.3. Voici le top 5 des Premiers ministres ayant le plus recours à cet article de la Constitution pour faire passer leurs textes :

  • Michel Rocard (1988 - 1991) : 28 fois 
  • Elisabeth Borne (2022 - …) : 11 fois 
  • Raymond Barre (1976 - 1981) : 8 fois 
  • Jacques Chirac (1974 - 1976 et 1986 - 1988) : 8 fois 
  • Edith Cresson (1991 - 1992) : 8 fois 

Le recours à l'article 49.3 obéit à une procédure spécifique. Après la décision du Premier ministre d'engager la responsabilité du gouvernement :

  • L’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution fait l’objet d’une délibération préalable en conseil des ministres. 
  • Le projet ou la proposition de loi est alors réputé adopté sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures et signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale. 

Deux cas de figures sont alors possibles : 

  • Si aucune motion de censure n’est déposée, le projet ou la proposition est considérée comme adopté 
  • Si une motion de censure est déposée, elle est discutée et votée dans les mêmes conditions que celles présentées par les députés 

En cas de rejet de la motion, le projet ou la proposition est considéré comme adopté. Dans le cas contraire, le texte est rejeté et le gouvernement est renversé.

Le saviez-vous ? : Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la responsabilité du gouvernement peut être engagée sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale et sur un seul autre projet (ou proposition) de loi au cours d'une même session.

Auparavant, le gouvernement pouvait y recourir autant de fois qu'il le jugeait nécessaire et quelle que soit la nature du texte (de 1988 à 1993, les gouvernements successifs de Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy ont ainsi utilisé l'article 49.3 à 39 reprises).

Le recours au 49.3, un déni de démocratie ?

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Après la décision du Premier ministre d’avoir recours à l'article 49.3, le Parlement peut riposter en adoptant une motion de censure, offrant ainsi aux parlementaires la possibilité de renverser le gouvernement. Cette motion doit être déposée dans les 24 heures suivant le recours à l'article 49.3 et signée par au moins un dixième des députés (soit 58 élus).

Ensuite, elle doit être adoptée dans les deux jours suivants par au moins 289 députés. Seuls les votes "pour" la motion de censure sont pris en compte. Si la motion de censure est adoptée, le Premier ministre est alors obligé de présenter la démission de son gouvernement. Cependant, une motion de censure déposée à la suite d'un recours à l'article 49.3 n'a jamais réussi à renverser le gouvernement.

D'autres Premiers ministres ont toutefois connu quelques frayeurs. Michel Rocard (1988-1991) a dû faire face à cinq motions de censure, toutes rejetées, mais a failli être renversé le 16 novembre 1991, lorsqu'une motion de censure a recueilli le vote de 284 députés alors qu'il en fallait 289.

Plus récemment, le 20 mars 2023, la motion de censure transpartisane portée par le député centriste de la Marne, Charles de Courson, à la suite du recours à l'article 49.3 par Elisabeth Borne, a recueilli 278 voix, là où il en fallait 287 pour précipiter la chute du gouvernement. Le sort du gouvernement Borne s'est donc joué à neuf voix près!

 

Même si la motion de censure contre le gouvernement Borne a été rejetée, le recours à l'article 49.3 a choqué l'opinion publique. En effet, le projet de loi de réforme des retraites étant impopulaire dans la rue et critiqué dans l'hémicycle, les Français ont vu ce recours à l'article 49.3 comme un "passage en force" du gouvernement, en décidant de ne pas recourir au vote des députés sur le texte. Le 49.3 n'est-il pas un article dépassé et n'est-il plus adapté à notre temps?

François Hollande, alors député, l'avait vivement critiqué: "L'article 49.3 est une brutalité. L'article 49.3 est un déni de démocratie. L'article 49.3 est une manière de freiner le débat parlementaire." Cela ne l'a cependant pas empêché d'y avoir recours à six reprises durant son quinquennat à l'Élysée. Il n'est pas rare que ceux qui dénoncent l'article 49.3 lorsqu'ils sont dans l'opposition changent d'avis lorsqu'ils arrivent au pouvoir.

Le recours à l'article 49.3 de la Constitution n'est qu'un usage parfaitement régulier d'une disposition constitutionnelle et, en ce sens, ne porte pas atteinte à notre démocratie, mais l'article 49.3 ne semble plus adapté à la situation politique actuelle du pays.

 La France est marquée par un tripartisme à l’Assemblée nationale (majorité présidentielle, Rassemblement national, Nupes). 

Ce paysage politique parlementaire a enflammé les débats tout au long de l’examen du texte sur la réforme des retraites. Le recours au 49.3 a exalté les oppositions à l’Assemblement national et dans la rue, le mécontentement s’est accru avec lui son lot de violences. 

Le recours au 49.3 n’a en rien apaisé la situation bien au contraire tant dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale que dans la rue. 

 

Cela a durci le mouvement social contre la réforme des retraites et a crispé l’opinion. À l’heure où toutes les opinions veulent s’exprimer, à l’heure où les débats se multiplient, le recours au 49.3 doit-il être conservé dans notre Constitution ? 

Conclusion : Que va décider les Sages du Conseil constitutionnel ? 

Non, le recours au 49.3 n’est pas synonyme de coup d’État ! Mais dans le cas d’un texte impopulaire comme celui des retraites, ce passage en force législatif avec cette accélération des débats parlementaires et ce refus du vote a heurté l’opinion. Un texte constitutionnel peut-il encore réussir à faire taire les critiques en 2023 ? 

En 2016, l’ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle, Manuel Valls avait surpris en proposant de supprimer purement et simplement le 49.3 hors texte budgétaire. Défait à la primaire socialiste, sa proposition n’avait pas été reprise. Tout récemment, le député écologiste de l’Isère, Jérémie Lordanoff a lancé une pétition pour supprimer l’article 49.3 de la Constitution, elle a recueilli plus de 200 000 signataires. 

Une chose est sûre c’est que la suppression du 49.3 devra passer par une réforme de la Constitution éventuellement par référendum. Une ou un candidat reprendra-t-il cette proposition dans son programme ?

Débat : Selon vous, le 49.3 doit-il être supprimé ? 

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